Le livre VOUS AVEZ DIT MUSEES ? TOUT SAVOIR SUR LA CRISE CULTURELLE, écrit par GERVEREAU LAURENT, édité par CNRS EDITIONS coute 14,00 €.
Diagnostique critique...
La culture, starifiée dans les années 1980, notamment à travers les musées, produits phares touristiques et identitaires pour des régions entières, devient aujourd'hui à la fois une industrie de produits de masse et le simple prétexte à fabrication de manifestations temporaires spectaculaires, jusqu'à l'instrumentalisation politique de la commémoration. Pourtant, dans l'actuelle guerre mondiale médiatique, la culture produit directement l'image de marque. Alors, le tourisme est-il une pollution ou une chance de développement et de rayonnement ? Peut-on délivrer une culture de qualité pour tous dans des sociétés de la diversité ? A distance ? Et qu'est-ce donc que la " culture " ? Le catch ou la bande-dessinée ? L'opéra ou le polar ? Tout à la fois ? Ce livre force à réfléchir. Il ouvre des perspectives et montre que, dans les crises identitaires, sociales et économiques actuelles, la culture au sens large répond à une nécessité de repères, tout en restant un enjeu industriel et stratégique essentiel. Dans quels lieux transformés ? Avec quel souci de diffusion ?
Extrait
Le musée, du grec mouseion, cette «grotte» ou «temple des muses» (souvent d'une seule en fait aujourd'hui), a été inventé dans son sens actuel au XIXe siècle en Occident. Il a fait florès, s'est répandu dans le monde à la faveur des diverses colonisations. Puis, au XXe siècle, il a souvent évoqué une image de lieu vieillot, suranné, destiné à une élite savante. Temple isolé dans la ville dont on n'approche, au mieux, que les jardins. À la fin du XXe siècle, certaines institutions le transforment profondément et il devient un emblème, un repère touristique, un enjeu du commerce culturel mondial. De l'élitisme au Barnum ? Nous allons tâcher d'en comprendre tous les aspects.
Invention occidentale (et même européenne), le musée intéressa longtemps les notables ou les professionnels (artistes, savants). Il occupait les sociétés locales, comme les autorités officielles. Jamais je n'oublierai, dans telle île de l'ouest de l'Afrique, ce petit canot à moteur qui progressait, conduisant une brochette de ministres et deux ambassadeurs, tandis que, depuis la plage jusqu'au fort-musée, une garde prétorienne suait au garde-à-vous et que nous, représentants du Conseil international des musées, pâlichons et raides comme des navets, attendions dans la cour avec la bonne société locale endimanchée. Des discours, un tour de piste, quelques verres calés dans la main, dos bien cambré pour nous tous. Et puis un mois de salles désertes.
Même dans nos villes du nord de la planète, ces lieux sont souvent destinés aux inaugurations assorties de grands discours par des maires de Champignac, laissant la foule à ses portes, car c'est jour de marché. Et puis, excès inverse, nous avons tous en tête les affluences des expositions-marketing : le vrai happening devient la gestion de la queue. Je me souviens de ce pauvre Chardin, à la peinture si secrète, vouée aux échappées métaphysiques, dans le brouhaha des cars du troisième âge au Grand Palais à Paris.
Jacques Tardi (avec Les Aventures d'Adèle Blanc-Sec) sculptait, lui, un magnifique hommage, case après case, au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, imaginaire de musée perdu. Mais notre rapport au musée n'est pas fait de simple nostalgie. Sont-ce les mêmes sensations qu'éprouve alors le public visitant les envolées du bâtiment de Frank Gehry (véritable oeuvre du lieu pour des expos-prétextes) à Bilbao ? Et ces Allemands agglutinés à scruter des cadavres, tout en réprouvant la démarche...